Argumentaire

Écritures numériques, nouvelles gestualités ?

Journée d’étude EPIN - COSTECH de l'Université de technologie de Compiègne organisée par Marine Riguet, Simon Renaud et Serge Bouchardon

En s’inscrivant dans un nouveau milieu, de nouvelles médiations et de nouvelles matérialités, les écritures numériques, c'est-à-dire « instrumentées par les technologies numériques » (Bouchardon, 2014), reformulent les modes de relation entre l’écrit et le corps. Elles hybrident et pluralisent les gestes d’écriture, qui peuvent inclure l’interaction avec un programme, l’oralisation du texte, la manipulation multimédia, la collaboration synchrone avec d’autres auteur·rices sur des plateformes, etc. Loin du geste uniforme du « frapper poser » (Guérin, 2011) de la trace manuscrite ou tapuscrite, la multiplicité des pratiques d’écriture numérique nous invite à questionner les mutations qu’elles induisent dans la relation au corps, mais aussi, plus foncièrement, dans le geste d’écriture lui-même. En quel sens, à la fois littéral (mouvement du corps) et figuré (action perceptible et interprétable), la notion même de geste peut-elle être entendue, lorsque l’écriture intègre les pratiques liées aux technologies numériques ? Une typologie des écritures numériques est-elle possible selon les différentes gestualités ? Dans quelle mesure le geste corporel de l’écriture se trouve-t-il, à certains égards, assujetti au dispositif numérique ? Quels enjeux esthétiques, mais aussi socio-politiques le geste de l’écriture numérique recouvre-t-il dès lors qu’il est performatif, c’est-à-dire qu’il agit très directement sur le monde physique ?

Cette journée, ouverte aux travaux de recherche scientifique comme artistique, cherchera à aborder ces questions selon différents axes :

  • Gestes d’écriture, gestes de lecture

Certaines pratiques d’écriture numérique (par exemple, les récits interactifs ou les vidéos-écritures) et certains dispositifs (comme la réalité virtuelle et la réalité augmentée) tirent parti de la relation entre technique et corporéité. Il s’agira d’examiner les enjeux esthétiques, discursifs et philosophiques de ce double engagement corporel : celui de l’auteur·rice, qui va parfois jusqu’à mobiliser ses sens ou son corps en mouvement dans l’acte d’écriture ; et celui du lecteur·rice, encouragé·e à manipuler le texte pour co-construire sa forme, voire son sens. Prises dans ces questions de présence et de corporéité, les possibilités d’action et de manipulation du texte, en partie dépendantes du dispositif numérique, viennent redéfinir les rôles auteur·rice / lecteur·rice, aussi bien que les gestes d’écriture et de lecture. Elles incitent notamment à considérer la place tenue par les usages dans le processus d’écriture.

  • Possibles du geste et arbitraire du calcul

Le calcul étant arbitraire, il n'y a pas de lien naturel entre saillance perçue et possible offert (Bachimont, 2010). Le programme informatique ouvre ainsi des possibles qui excèdent l'anticipation inhérente au geste (Bouchardon, 2011). Les créations numériques interrogent les possibles du calcul, dans la mesure où l’auteur·rice ou artiste numérique invente des contenus et des formes esthétiques exploitant les ressources du code et du calcul. Il s’agit donc de montrer en quoi les pratiques créatives numériques sont révélatrices des tensions que l’on retrouve dans les écritures dites ordinaires, entre possibles et contraintes, entre autonomie du geste et automatisation, entre expression de soi et génération automatique de contenus. Le geste d’écriture s’articule à l’écriture par la machine (à supposer que le terme d’écriture soit pertinent dans ce cas), ou plus spécifiquement avec des agents non-humains.

  • Valeur heuristique du geste

Parler de nouvelles gestualités, c’est aussi mettre l’accent sur la dimension expérimentale des écritures numériques, qui émergent comme formes d’« expérience de ce qui nous dépasse » (Bouchardon, 2014). Ces pratiques semblent encourager une approche par le geste, autrement dit une démarche du « faire pour comprendre », telle qu’elle est mise en œuvre dans la recherche-création (Houdart-Merot et Petitjean, 2021) . Nous nous intéresserons dès lors à la valeur heuristique particulière des écritures numériques, et à l’apport de l’expérience créative personnelle dans la recherche scientifique.

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